Madame Brémond souhaite s'entretenir avec l’AFD pour éclaircir la situation. Lors d’un entretien au téléphone le 8 février, je lui explique les risques encourus par le lauréat qui signerait le contrat de cession de droits actuellement proposé et expime les critiques que l'AFD communique sur la première version du contrat (Téléchargeable ici) dont voici la teneur :
Article 5.1. Cet article, complété par l’art. 5.3, signifie que l’artiste n’est pas libre de représenter son œuvre sur son site Internet ou tout autre moyen de communication pour faire sa propre publicité. Il ne peut pas non plus la reproduire sous quelque forme que ce soit à des fins d’édition.
Article 5.2. Doit être plus explicite sur la nature des droits cédés : uniquement à des fins de communication du festival. Aucune exploitation commerciale ne sera faite. L'auteur reste propriétaire de ses droits. De plus, il prévoit une cession des droits à l’avance pour une exploitation non définie et une adaptation à l’avance pour une exploitation non définie.
— 4e alinéa : aucune raison de demander d'adaptation si on reste dans un cadre de communication. L'adaptation autorise à recadrer et à poser des logos sur l’œuvre par exemple.
— 6e alinéa : la cession doit être limitée en type de supports. Ces articles sont abusifs.
Article 5.3. Est abusif au regard de la cession gracieuse. Cet article, complète l’art. 5.1: l’artiste doit demander une autorisation. Ceci serait acceptable s’il y avait une contrepartie financière à la juste valeur de l’engagement de l’artiste. Nous considérons qu’une résidence de 3 jours n’est pas une contrepartie suffisante pour une telle clause.
La prise en charge de MyProvence peut s’entendre pour une équivalence d’honoraires d’un reportage photo de paysage, mais pas pour une cession pour 3 ans à l’international, dont nous estimons le montant à 15000 €HT.
Article 5.4. Violation du droit moral de l'auteur puisqu'il prévoit une cession à l'avance sur des éléments inconnus. L'auteur doit avoir un droit de regard et pouvoir s'opposer si besoin.
Article 5.5. Cela signifie que l’artiste peut se voir bloquée sont œuvre. Sans pouvoir exploiter de son côté son travail (art. 5.1 et 5.3) ni pouvoir la voir exister via les organisateurs.
Article 6.1 et 6.2. La clause de garantie est disproportionnée en cas de cession gracieuse de la part de l'auteur. C'est au festival de s'assurer et de payer une éventuelle recherche d'antériorité ou expertise juridique. On comprend que MP souhaite se couvrir de tout souci ultérieur, mais comment un artiste peut-il payer les recherches nécessaires ou même se couvrir par une assurance s’il n’est pas payé.
— Dernier alinéa : En cas de conflit, même si l’artiste n’est pas en tord, il lui reviendra de se défendre tout seul, avec ses moyens financiers. Dans un contrat équitablement établi, il conviendrait que MP soit solidaire. Or là il se surprotège et peut se retourner contre l’artiste qu’il est censé soutenir.
Article 6.3. Cession non limitée : type non défini.
Madame Brémond, très attentive à nos arguments, explique que son souhait est de soutenir les artistes. Je lui réponds que nous ne doutons pas de sa bonne foi, mais que, malgré les explications et les bonnes intentions exprimées dans son courrier du 7 février, il faudra bien en cas de litige se référer aux termes du contrat signé entre les parties.
Madame Brémond souhaite améliorer ce contrat et propose que l’AFD fasse une contre proposition. Je réponds que nous préférons ne pas nous substituer à leur avocat qui à travaillé au contrat, qu’il serait plus juste qu’il propose sa version modifiée.
Cette seconde version nous parvient le 13 février. Télécharger le 2e contrat de commande et de cession de droits My provence festival / laureat
Bien qu’il y ait un progrès concernant la clause d’exclusivité gratuite (article 5.1), sa première lecture ne change malheureusement pas notre analyse concernant l’esprit du contrat. Nous le faisons suivre à Maître François Lesaffre, spécialiste de la propriété intellectuelle, qui nous livre le commentaire ci-dessous, que nous transmettons à Mme Brémond le 20 février :
« Je pense que les observations de l'AFD restent vraies et que l'association n'a pas réellement fait d'effort. L'auteur n'aura rien pour la cession de ses droits ; l'hébergement ne pouvant être qu'une contrepartie à l'absence d'honoraire pour la création. Seul petit progrès et qui ne coûte rien à l'association : l’article 5.3 est supprimé, étant créé un deuxième alinéa à 5.1 limitant l'utilisation par le lauréat de son œuvre afin d'éviter une concurrence avec une autre destination touristique.
L’article 6.3 relatif à l’exploitation des œuvres sous une forme non prévue et non prévisible est supprimé mais l’article 5.2, quatrième alinéa, autorise l’exploitation par tout procédé "existant ou à venir" et selon le septième et nouvel alinéa du même article "l'exploitation… peut revêtir toute forme même non prévisible".
L’article 5.4 autorisant les incrustations de logos devient l’article 5.3 et il est ajouté : "lors de toute utilisation de l’œuvre, celle-ci devra contenir de façon visible la mention "lauréat My Provence Festival" pour que le lauréat soit obligé, lorsqu'il "utilise" son œuvre, tel que prévu à l’article 5.1 deuxième alinéa, de porter cette mention.
L'article 5.2 ni aucun autre n'interdit que l'association vende notamment les produits multimédias prévus au quatrième alinéa et si la directrice générale veut persuader l'AFD du contraire à propos de la modification qu'elle propose de l'article 6.3 (qui a déjà disparu) : "aucun profit ne sera réalisé", elle veut introduire au "profit" de l'auteur qu'il "aura droit au versement d'une rémunération corrélative aux profits d'exploitation" ce qui est vraiment dire qu'il peut y avoir des profits. Par contre la rémunération de l'auteur n'est pas fixée ! Il est vrai que cette proposition n'a pas été transcrite dans le contrat mais il n'en reste pas moins que rien interdit qu'il y ait vente.
Le contrat est toujours bien léonin comme vous le dénonciez. »
Quels risques pour le lauréat?
Outre les questions développées ci-dessus, la clause de garantie de l’article 6.1 qui place les organisateurs du concours à l’abri de toutes poursuites en matière de droit d’auteur, n’est pas retirée comme nous le demandons.
Voici exemple : la photo choisie par le jury du concours, publiée et communiquée pour promouvoir le concours et la région, représente un beau paysage de Provence dans lequel figure une maison. Son architecte demande le paiement de droits pour l’exploitation de son œuvre incluse dans celle du photographe (on parle d'œuvre composite). Les organisateurs du concours refusent. L’architecte intente une action en contrefaçon contre le photographe, qui est alors seul responsable.
Admettons qu’un juge saisi de cette affaire ne donne pas raison à l’architecte (ce qui est fort improbable !), le seul fait de devoir se défendre d’une telle action pourrait coûter au photographe plusieur milliers d'euros, sans qu’il ne puisse se retourner contre les organisateurs du concours qui ont choisi son image. Que dire, si en plus, il devait seul verser le montant des droits à l'architecte ?
Le même scénario est probable avec l’œuvre d’un sculpteur, d’un designer de mobilier, d’un designer graphique ou de tout autre auteur. Ce risque est généralement pris en charge par les assurances pour les professionnels (mais ce n’est pas systématique). Il n’en est rien des amateurs, premièrement parce qu’ils sont très exceptionnellement au courant de ce risque, deuxièmement parce que les assurances ne prennent pas en charge ce type de risque pour les particuliers.
Un tel concours ne peut donc s’adresser aux amateurs tout en s’affranchissant des risques inhérents à l’exploitation de leurs œuvres. Il est du devoir de ses organisateurs d’accepter ce risque est de s’en protéger en acceptant de verser une juste contrepartie auprès de tous les auteurs pour l’exploitation de leur œuvre, qu'elle soit composite ou pas. Il n’est pas envisageable qu’une collectivité reporte ce type de risque sur ses concitoyens.
J’ai évoqué à Mme Brémond l’éventualité de contracter une assurance. Je me suis renseigné auprès de la société ISCOX, qui m’a informé que malheureusement c’est impossible, car seul l’auteur de la photographie pourrait être tenu responsable.
La collectivité doit donc accepter d’être solidaire de l’auteur et s’engager à financièrement à ces côtés. C’est d’ailleurs la meilleure chose qui soit, car elle bénéficierait ainsi, par un contrat de cession de droits équitable, de la protection du droit d’auteur.
Le but de l'AFD n'est pas de « s'acharner » contre quiconque, contrairement à ce qui peut être dit, mais de communiquer sur les risques biens réels lorsqu'ils existent dans un concours. Et c'est bien le cas pour www.myprovence.fr.
Il serait bon de s'en souvenir avant d'accuser les correspondants AFD, qui font un travail indispensable en faisant remonter l'information de terrain au conseil d'administration de l'AFD et en diffusant en retour des analyses fondées par des experts. Nous rappelons qu'avant de blacklister ce concours, nous avons laissé un délai de 15 jours pour dialoguer.
Pour trouver une solution, nous acceptons le 20 février la proposition de Madame Brémond que l'AFD produise un contrat pour le lauréat de ce concours. Il va de soit que ce service serait facturé en contrepartie du travail de l'avocat. De façon à valoriser cette démarche, ce processus pourrait aboutir à une labélisation par l'AFD. À l'heure où nous publions cet article, nous attendons toujours une réponse.