Un Designer A avait créé une gamme de parfums commercialisée dans une boutique à Paris par une société dirigée par une personne en qui il avait toute confiance, Madame B.
Un Monsieur C qui dirige une société D de droit étranger distribuant de la parfumerie en gros et au détail a pris contact avec lui.
Il était décidé entre Monsieur C et Madame B de créer une société E, avec un capital réparti également entre la société D et Madame B, cette dernière et Monsieur C étant nommés cogérants, pour distribuer en France des bougies parfumées et des parfums.
Le Designer A a travaillé seul pendant trois ans, sans avoir jamais été rémunéré, à la création du nom des marques de bougies puis de parfums, sur la déclinaison des produits en créant leur nom, des messages et des slogans, des contenants et des packagings. Ultérieurement, il a créé sa propre société de commerce de parfumerie F et a adressé à la société E une facture portant sur son travail de création et s’élevant à 300 000 € qui n’a été réglée que pour un dixième de son montant environ.
Une procédure en paiement du solde est toujours pendante devant le tribunal de commerce de Paris.
Monsieur C a déposé plainte pour faux et usage de faux en écritures privées à l’encontre du Designer A au motif que la société F ne pouvait émettre une facture pour un travail effectué durant une période antérieure à sa création, procédure qui a donné lieu à un jugement définitif de relaxe du Designer A de septembre 2014.
N’ayant jamais cédé ses droits sur ses créations, qu’il s’agisse des bougies ou des parfums, le Designer A a également fait assigner les sociétés D et E en contrefaçon de droits d’auteur.
Par un jugement du 7 mai 2015, le Tribunal de grande instance de Paris a dit le Designer A irrecevable en ses demandes en contrefaçon au motif que les bougies et les parfums auraient constitué des œuvres collectives et que la société E aurait été titulaire des droits d’auteur des œuvres en question.
Le Designer A a interjeté appel de cette décision très contestable.
Avant que la Cour d’appel ne statue sur le fond, elle devait au préalable trancher une question relative à certaines pièces communiquées par le Designer A et que les sociétés D et E auraient voulu voir écarter au motif que le Designer A les détiendrait de manière déloyale et qu’elle violerait le secret des affaires des sociétés D et E.
Le Designer A tenait ses pièces de Madame B. Celles-ci avaient, d’une part, pour objet de démontrer sa qualité de seul créateur des œuvres en question et, d’autre part, qu’une somme de 2 000 € versée chaque mois par la société E constituait la rémunération de Madame B pour le travail autre que de création qu’elle accomplissait et non la rémunération du travail de création du Designer A.
La Cour juge qu’il est de principe que doivent être retenues les pièces qui permettent au justiciable, en l’occurrence le Designer, de « démontrer sa qualité de titulaire des œuvres qu’il revendique […] pour établir l’importance de l’exploitation et son préjudice », que de plus « il n’y a pas violation du secret des affaires, celui-ci ayant été à l’époque partagé. »
Sur la recevabilité à agir du Designer :
La société D soutenait que le Designer A aurait été irrecevable à agir à son encontre dans la mesure où il ne démontrerait pas que chacune des créations qu’il revendique est exploitée par elle.
Mais la Cour relève que :
- la société D ne conteste par exploiter les marques et les logos,
- les constats établis démontrent la commercialisation des œuvres du Designer A,
- sur le site de la société D est proposé un produit de l’une des marques en cause,
- cette société a déposé le nom des parfums à titre de marque aux USA
- elle a développé un concept de vente au détail sous une enseigne disposant d’un site internet sur lequel les bougies et les parfums créés apparaissent.
Sur la titularité des droits :
La cour relève « que les échanges de courriels entre Monsieur C représentant de la société D et cogérant de la société E et le Designer A mettent en évidence le rôle de ce dernier dans le processus créatif du nom des deux marques, puis de l’ensemble des éléments qui ont été conçus pour être commercialisés sous ces noms, que si le Designer A consultait régulièrement Monsieur C pour lui demander son avis, il attendait en réponse une validation ; » que ces échanges « reflètent la répartition des rôles de chacun. »
Elle juge « que, dès lors, la société E supportant la charge financière des créations et leur promotion et la société D en étant associé à 50 %, le Designer A était nécessairement contraint de rechercher l’assentiment de Monsieur C, dirigeant de chacune d’elle, notamment en ce qui concerne le choix des prestataires, que cette circonstance liée au contexte financier ne saurait être suffisante pour caractériser un apport de celui-ci (Monsieur C) dans l’œuvre créative et caractériser une œuvre collective. »
La Cour s’attache ensuite à chaque œuvre revendiquée recherchant si le Designer A rapporte la preuve qu’il en est l’auteur et d’autre part s’il s’agit d’une œuvre originale.
Pour ce qui est de la première marque, elle relève notamment :
« qu’il résulte des courriels adressés par le Designer A à Monsieur C une description détaillée de l’avancement de son travail de recherche sur le nom et de conception d’un logo… »
« que ces éléments démontrent le rôle du Designer A à l’occasion des différentes étapes qui ont abouti à la création du logo et à son adoption comme dénomination de la marque avant son dépôt, qu’il en résulte qu’il est le seul auteur »
Elle se livre à la même analyse pour chacune des œuvres revendiquées et conclue « qu’il résulte des pièces produites que le Designer A a été le seul créateur des œuvres revendiquées. »
Sur l’originalité :
La Cour juge à propos de la première marque, celle des bougies :
« Considérant que les différents envois de courriels du Designer A traduisent la réflexion de celui-ci qui a utilisé l’idée du nez excité par l’odeur et le phénomène de l’hypnose qu’il a caractérisé par la spirale…
Que la forme visuelle est dès lors très différente de celle retenue par la société Lancôme pour son parfum, celle-ci n’ayant d’ailleurs pas réagi lors du dépôt de la marque….
Que dès lors le dessin du nom avec notamment trois mots avec trois majuscules, le positionnement des mots et le choix des caractères constituent une combinaison originale révélant l’effort créatif du Designer A et portant l’empreinte de sa personnalité. »
Pour ce qui est des textes de présentation de chacune des bougies et le slogan commun, la Cour juge :
« Considérant que ce slogan n’est pas une simple description d’une bougie qui brûle, qu’il est constitué de trois mots anglais …qui certes par le mot lumière évoque la flamme de la bougie mais de façon paradoxale le son de la lumière, que ces mots sont associés à une série d’autres en français qui évoquent le parfum et le crépitement ; que dès lors cette association de mots crée une image et une ambiance singulières marquées de l’empreinte de la personnalité du Designer A et constituent un texte original qui doit bénéficier de la protection au titre des droits d’auteur. »
De même, à propos des textes propres à chaque bougie, elle décide : « que ces textes, s’ils reprennent le nom donné à la bougie qui ne présente pas en lui-même d’originalité, sont constitués de phrases imagées, individualisées qui ne sont pas celle de la composition objective de la bougie ; que dès lors, elles présentent une singularité caractérisant un effort créatif et l’empreinte de la personnalité du Designer A, qu’ils sont donc protégeables. »
De même, à propos de la forme des flacons de parfum, elle juge :
« Considérant que la combinaison de la forme du verre, du laquage partiel, de la forme du capot, des couleurs, de la calligraphie des mentions, la composition de ces mentions (la combinaison de ces éléments) donnent un caractère particulier à ce flacon faisant son originalité et reflétant la personnalité du Designer A. »
…
Ainsi la Cour d’appel dit originaux les éléments revendiqués par le Designer A.
Sur la cession de droits alléguée au profit de la société E :
La Cour juge :
« Considérant que si le Designer A n’a réclamé aucun paiement avant l’établissement d’une facture par la société F (sa société), il n’en demeure pas moins qu’étant le créateur des produits en cause il était fondé, d’une part à réclamer paiement pour son travail, d’autre part à faire valoir ses droits sur son œuvre qui ne pouvait pas être exploitée sans son consentement. »
La Cour relève encore que le Designer A a contesté les conditions d’exploitation de ses œuvres et juge :
« Considérant qu’il résulte de ces éléments que le Designer A n’a pas cessé de protester quant à la situation qui était la sienne et l’absence de toute relation contractuelle clairement établie quand bien même il n’a introduit une instance en contrefaçon » qu’en « décembre 2012, que la tolérance du Designer A qui a certes permis le dépôt des marques, ne signifie pas qu’il a autorisé l’exploitation des noms déposés à titre de marque pour commercialiser des produits sous ces noms alors même qu’il est également l’auteur et donc le propriétaire de droits notamment sur des textes et sur les flacons et que les parties n’étaient parvenues à aucun accord…
« Considérant que ces éléments démontrent que le Designer A a réalisé des créations sur commande de la société E qui ne justifie pas d’un accord concernant l’exploitation desdites œuvres.
La Cour d’appel juge ensuite que la preuve de la contrefaçon est rapportée au contraire de ce qui était soutenu par les sociétés adverses :
« Considérant qu’il résulte de ces éléments la démonstration de la participation en France de la société D à l’exploitation, constitutive de contrefaçon, des œuvres du Designer A à savoir, le financement de la contrefaçon par le paiement des factures de vente de la société E, la prise de livraison de produits contrefaisants, la reproduction de produits contrefaisants sur son site internet consultable en France et l’exposition et la vente en France en dehors de son site internet, qu’il y a lieu en conséquence de retenir une responsabilité solidaire des deux sociétés. »
Sur la demande de transferts des marques au profit du Designer :
La Cour commence par rappeler que l’article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice », ce que le Designer A avait fait.
Elle juge que « si les sociétés D et E se sont rendues coupables de contrefaçon en reproduisant et/ou représentant les noms des deux marques revendiquées par le Designer A pour exploiter les produits vendus sous ces marques, c'est-à-dire toutes les bougies...et tous les parfums…il n’en résulte pas pour autant la démonstration qu’en déposant » les signes créés par le Designer A, les sociétés adverses « aient réalisés ces dépôts en fraude des droits du Designer A, la fraude supposant une intention de nuire. »
Considérant qu’il résulte des éléments de l’espèce que les parties ont entretenu pendant plusieurs années des relations d’affaires quand bien même elles n’étaient pas encore parvenues à formaliser un accord ; que celles-ci ont été rompues lors de l’assignation ; que le dépôt des marques était nécessaire au développement de ces relations de sorte que lorsque les demandes ont été faites, il ne s’est pas inscrit dans une intention de nuire du déposant envers le créateur ; qu’en conséquence, celui-ci ne saurait invoquer une quelconque fraude pour justifier un transfert des marques à son profit.
Sur le préjudice du Designer A :
La Cour accorde au Designer A la somme de 10 000 € au titre de son préjudice patrimonial et celle de 15 000 € au titre de son préjudice moral.
Compte tenu de la complexité de cette affaire, la Cour accorde au Designer A la somme de 10 000 € et la même somme à sa société, soit au total 20 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile selon lequel « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer… à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés» (c’est-à-dire les honoraires d’avocat).
François Lesaffre,
Avocat, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle