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Blacklisté : le Prix Jean-Prouvé, le mobilier scolaire de demain

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Notre blacklistage ne concerne que le volet professionnels du concours, pas le volet étudiants. Le présent concours a pour objet la création de nouveaux mobiliers scolaires destinés à équiper des écoles élémentaires, collèges et lycées. L’AFD a alerté le 25 juillet Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication et M. Benoît Hamon, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des graves problèmes en matière de déontologie et d’investissement public que pose ce prix. L’AFD adresse aujourd’hui copie de son courrier aux nouveaux ministres Mme Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication et à M. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique.



La lettre de l’AFD


Vous avez participé à un colloque dont le thème était la refondation de l’Ecole : « une question pour le Design », le 27 mai 2014 à l’Ecole Boulle, Paris. À l’issue de ce colloque, deux concours « Jean Prouvé » portant sur la création de mobilier ont été mis en place, le premier est un concours d’étudiant, le second, réservé aux professionnels. Ce dernier pose de très graves problèmes de déontologie professionnelle. En tant que citoyen, je défends la qualité des investissements publics et en tant que designer, je défends les meilleures pratiques professionnelles.

Vous n’êtes pas sans savoir que notre syndicat professionnel a créé la Charte des marchés publics de design. Cette charte a été conçue par l’Alliance Française des Designers (AFD), 1er syndicat du design pluridisciplinaire, à l’attention des commanditaires publics, sous forme d’un guide des meilleures pratiques en matière de conditions d’appels d’offres. Elle explique point par point comment publier un AAPC de design en communication, d’espaces ou de produits, dans le but d’obtenir la qualité de création attendue. Cette Charte est approuvée par le ministère de la Culture et de la Communication, en lien avec le ministère de l’Économie des Finances et de l’Industrie.

Hélas cette charte est foulée au pied par l’appel d’offre N° 14U097 évoqué plus haut.

Par ailleurs, l’ambition exprimée dans l’objectif de ce concours ne peut pas être atteinte par une telle méthode qui appauvrit la réflexion et la recherche véritable au profit d’un tape à l’oeil versatile. Si vous avez de l’ambition pour l’école, il faut des investigations réelles, multidisciplinaires, exactement à l’inverse de ce qui se profile.

Je vous demande donc de bien vouloir reconsidérer la pertinence de cet appel d’offre, pour ma profession et pour la perte de temps que cela va représenter dans la mise en place de vrais programmes de recherches et d’innovations en matière d’équipements. L’AFD souhaiterait pouvoir engager une collaboration avec vous dans une démarche constructive sur la question des appels d’offre des marchés publics. Le pouvoir de changement sur ce dossier, dont vous bénéficiez, pourrait faire évoluer la situation de manière positive et engager l’ensemble de la profession à la constitution d’un modèle économique performant pour le bien commun des Français.

Avec mes respectueux hommages, je vous prie d’agréer, […].

Bruno Lefebvre
Designer, président 2007-2009, membre du conseil d’administration



La position de l’AFD


Lire plus sur le prix Jean-Prouvé :
Pour rappel, quelques éléments du règlement du conconcours Jean Prouvé

Objectifs : créer des ensembles table et siège pour les écoles élémentaires, les collèges, les Lycées.
Il s’agit de 3 lots en terme de CMP
Les réponses attendues sont prospectives, audacieuses, ergonomiques, techniquement réalisables et économiquement  réalisables. Il est demandé à chaque candidat de chiffrer le coût de l’assise et du plan de travail proposés en veillant à ne pas dépasser le prix plafond (entre 150 et 170 euros HT).

Le mobilier doit :
-  intégrer les outils numériques qui ont une place importante dans le projet éducatif ;
-  satisfaire les différentes stations dans la mobilité permanente du corps ;
-  satisfaire les reconfigurations permanentes dans les différents espaces ;
-  permettre le travail individuel et collectif, dans des situations de concentration, de réception, d’apprentissage, d’expérimentation, de démonstration.

L’offre que chaque designer remet doit comprendre :
- Une note d’intention : contexte, acteurs, enjeux clés.
- Une note conceptuelle : parti-pris, objectifs, solution; ainsi que la prise en compte de l’aspect développement durable.
- Un état des recherches présenté sous la forme d’esquisses, croquis, schémas, études, en 4 planches maximum.
- Trois diapositives :
- Le projet finalisé (vues globales, détails)
- Le projet dans son contexte spatial (implantation, scénario)
- Le projet sous son aspect technique
- Le montant de la rémunération concernant les droits d’auteur, par article.
- L’engagement du candidat à ce que son projet s’inscrive dans le prix plafond … accompagné de l’estimation du prix envisagé.


Sur la forme : cet AAPC appauvrit la profession de designer

La composition du jury, dont on ne connait pas les noms, ne respecte pas une juste proportion de présence de designers. Ce n'est pas conforme aux recommandations internationales de l’ICSID en matière de jury pour ce type de concours.

Cet AAPC produit un crowdsourcing institutionnalisé qui encourage étudiants et professionnels au travail spéculatif, à l’encontre de la déontologie des designers. Il exige un très haut niveau de prestation pour lequel « un investissement significatif des candidats est nécessaire” (article 49 du CMP). Or, aucune indemnisation n’est prévue sauf pour le second et le 3e prix, qui reçoivent chacun 3000 € TTC  (2400 HT), quel que soit le nombre de lots réalisés par le candidat.

En cas d’industrialisation de son projet, le lauréat ne percevra aucun honoraires, il devra se contenter de la rémunération de ses droits d’auteur par une redevance dont il aura « librement » déterminé le taux. En l’absence de marché d’industrialisation, il reçoit une indemnité identique au 2e et 3e prix. Rappelons que les droits d’auteur ne rémunèrent que la qualité formelle et originale d’une œuvre et en aucun cas comme il est stipulé dans le règlement, les études, recherches sur les aspects ergonomiques, techniques et économiques d’un produit.

Laisser “librement” le designer fixer le taux est incohérent et choquant. Cette formule aguichante masque le travail gratuit que devra fournir la quasi totalité des designers. Un taux de redevance se négocie sur des critères plus sérieux et plus précis que “la liberté”.

C’est une raison supplémentaire pour travailler différemment en allouant un budget pour rémunérer sérieusement une sélection de quelques designers (ou équipes de designers). L’AFD préconise d’appliquer sa charte des appels d’offres qui ne coûtent pas plus cher quand l’objectif final est de réellement innover.

Lorsque l’organisateur d’un concours n’a pas les moyens de rémunérer 20 ou 50 ou 300 projets, il convient de publier un appel à candidature pour recevoir des dossiers, les étudier, sélectionner une short-list de professionnels sur compétences, références et portfolio, et de les faire travailler avec le sérieux qu’exigent les enjeux de ce type de projet sociétal. Dans un programme «  ambitieux » on a les moyens de rémunérer 3 à 5 designers et faire l’effort d’organiser le choix. C’est la seule démarche à même de respecter la mémoire de Jean Prouvé.


Sur le fond : cet AAPC appauvrit les solutions que le design
pourrait apporter à l’éducation et la la société


En mettant l’accent sur le résultat (le prix), en ne mettant pas en œuvre les réels moyens nécessaires au processus de design lui-même, cet AAPC témoigne d’une démarche non professionnelle qui ne comprend pas ce qu’est le design. Aucun moyen de recherche et d’investigation ne sont évoqués. En ne permettant pas l’implication des enseignants ou d’un centre de recherche pédagogique, par exemple, il ne produit pas de véritable dialogue entre les designers et ceux à qui leurs compétences devraient bénéficier.

Nous doutons de la capacité de ce concours à atteindre ses objectifs ambitieux et nous gageons qu’il produira une perte de temps de plus dans la mise en place de vrais programmes de recherches et d’innovations en matière d’équipement. A part le fait que le VIA (Valorisation de l'innovation dans l'ameublement), l’UNIFA (Union nationale des industries françaises de l'ameublement) et l’UGAP (Centrale d'achat public) montent des projets « prospectif et audacieux » pour leur propre communication, nous ne voyons aucun intérêt à ce concours dans sa forme actuelle.

Par conséquent, les bénéfices pour l’Éducation nationale risquent d’être nuls et vraisemblablement pas dans l’esprit de Jean Prouvé, pour lequel nous avons la plus haute estime.


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[Lire un article connexe : Le croquis, c’est l’expertise]