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N’oubliez pas le guide

Actions en justice soutenues par l’AFD | 0 commentaire
À l’issue d’une procédure de consultation publique et de mise en concurrence, deux designers travaillant ensemble ont créé la maquette du guide de programmation culturelle d’une commune de la proche banlieue de Paris pour la saison 2012/2013. Ils ont été écartés de la réalisation du guide de la saison suivante au motif que leur devis, d’un montant pourtant inférieur à celui de l’année passée, aurait été trop onéreux. Ayant appris que la commune se serait fait remettre par l’imprimeur les fichiers sources de leur guide, ils ont mis celle-ci en garde contre une contrefaçon de leur œuvre.

Au vu du guide culturel 2013/2014, ils ont dû constater que la commune n’avait pas tenu compte de leur avertissement, la charte graphique de ce guide constituant une reproduction presque servile de celle qu’ils avaient créée pour le précédent. En outre, ce nouveau guide se trouvait publié avec la mention qu’un tiers serait l’auteur de ladite charte graphique.

Les designers ont assigné en contrefaçon la commune devant le Tribunal de grande instance de Nanterre.

Postérieurement, leur charte graphique a également été reprise pour la réalisation du guide de la saison 2014/2015.

La commune a prétendu que le litige aurait été de la compétence du Tribunal administratif.
Après échanges de conclusions sur ce point, le Tribunal par jugement du 3 novembre 2016 s’est reconnu compétent.

La commune a alors soutenu que la commande passée n’aurait porté que sur la réalisation d’une maquette graphique et non pas sur la conception d’une nouvelle maquette, que le guide aurait été réalisé selon ses instructions et le cahier des charges précis qu’elle aurait communiqué aux designers et que ceux-ci n’auraient dès lors opéré aucun choix esthétique dans la réalisation du guide.

Elle a prétendu que la charte graphique du guide ne présenterait aucune originalité et que la seule mention en dernière page du site des designers ne ferait que signaler l’exécution d’une tâche technique, d’où selon elle une ambiguïté sur la titularité des droits d’auteur.

Elle a encore contesté la violation des droits patrimoniaux d’auteur des requérants, les nombreuses différences entre les guides 2012/2013 et ceux des saisons suivantes démontrant, selon elle, que ceux-ci ne constituent ni une reproduction servile ni une reproduction par imitation de la création revendiquée.

Par jugement en date du 22 juin 2017, le tribunal se prononce d’abord sur la titularité des droits d’auteur.

Il rappelle que selon l’article L 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

Or, sur le guide 2012/2013, en face de la mention « conception graphique et mise en page » se trouvait indiqué le nom de domaine des deux designers composé de leurs deux noms attachés.

Le tribunal juge par suite, malgré les dénégations adverses, que cette adresse qui est celle, dit-il, de l’agence sous la dénomination de laquelle les deux designers exercent leur activité fait présumer qu’ils sont titulaires des droits de propriété incorporels sur la charte en question.

Le tribunal statue ensuite sur l’originalité de l’œuvre.

Celui qui prétend bénéficier de la protection du droit d’auteur doit rapporter la preuve d’un apport original.

Les deux designers ont fait valoir la combinaison des différentes caractéristiques de leur charte graphique : emplacement et manière de poser les visuels, emplacement des textes, choix de la typographie, colonnes, marges, couleur des fonds, etc.

Ils ont soutenu que les nombreux choix qu’ils ont opérés et la combinaison des éléments retenus selon une certaine présentation traduisent le parti pris esthétique qu’ils ont adopté et reflètent leur personnalité.

Le tribunal constate que la commune ne démontre nullement avoir transmis aux designers ce qu’elle intitule « cahier des charges », ni l’existence d’instructions précises qu’elle leur aurait données, qu’il ressort des courriels adressés aux designers qu’elle leur a bien confié la conception de la charte graphique du guide culturel.

Le tribunal refuse de dire que la charte revendiquée par les designers aurait été largement inspirée, ainsi que le soutenait la commune, par le guide de l’Opéra de Paris celui-ci ne présentant pas la combinaison des caractéristiques revendiquées par les auteurs.

Répondant à la prétention que les éléments de la charte graphique ne présenteraient aucune originalité, le tribunal juge que « l’originalité de l’œuvre s’apprécie au regard de la combinaison des caractéristiques revendiquées et non pas sur chacune des caractéristiques prises individuellement et qu’elle (la commune) n’établit nullement que ladite combinaison serait commune dans le domaine du graphisme ».

Il juge ainsi que l’œuvre est originale. Ce faisant sa décision est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation laquelle avait jugé, par exemple, le 12 mai 2011 (arrêt n°10-17852 publié sur Légifrance):

« Vu l’article L.112-1 du code la propriété intellectuelle ;
Attendu que reprochant à la société PMC distribution devenue Club-privé, inscrite en 2004 au registre du commerce, d'avoir reproduit pour les besoins d'une activité concurrente de commerce électronique l'architecture de son site internet, la société Vente privée.com, inscrite depuis 2001 au registre du commerce, l'a poursuivie en contrefaçon ;
Attendu que pour rejeter cette demande au motif que les éléments revendiqués par la société Vente.privée.com combinés dans leur ensemble n'étaient pas de nature à caractériser l'originalité du site la cour d'appel s'est bornée à relever : que la présence d'une fenêtre blanche permettant au client de s'identifier ainsi que le choix et la dénomination des rubriques étaient des «éléments commandés par des impératifs utilitaires ou fonctionnels» et qu'ils ne présentaient, en l'espèce, «aucune forme singulière de nature à traduire un quelconque effort créatif», que la bande annonce animée «ne revêt pas des caractéristiques esthétiques (…) séparables de tout caractère fonctionnel»,que «la mise en place d'un espace de dialogue interactif», au moyen d'un blog, «atteste tout au plus d'un savoir-faire commercial»,que le choix de dominantes de couleurs rose et noir n'était pas « perceptible d'emblée», ni de nature à «conférer au site en cause une physionomie particulière qui le distingue des autres sites du même secteur d'activité» et en définitive, qu'ils soient pris séparément ou combinés dans leur ensemble, les éléments invoqués sont dénués de pertinence au regard du critère d'originalité requis en la cause, faute de porter la marque d'un effort personnel de création ;

Qu'en statuant ainsi sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation serait dépourvu d'originalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » ; (Civ. 1ère – 12 mai 2011 n°10-17852 publié sur Légifrance)

Sur la contrefaçon, le tribunal rappelle que la contrefaçon s’apprécie en fonction des ressemblances et non des différences. Il constate que la charte du guide 2013/2014 reprend l’exacte combinaison des caractéristiques originales de la charte du guide 2012/2013 et que la charte du guide 2014/2015 en reprend les principales. Le tribunal juge que la contrefaçon par reproduction de la charte graphique est donc caractérisée et l’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur établie.

Il juge encore que les designers sont bien fondés à faire valoir que le défaut de mention de leur nom et de leur qualité d’auteur au titre de la mise en page des guides 2013/2014 et 2014/2015 porte atteinte à leur droit à la paternité de l’œuvre.

Les designers se voient allouer la somme de 15 000 € en réparation de la violation de leurs droits patrimoniaux d’auteur et celle de 5 000 € en réparation de la violation du leur droit à la paternité.

Les Juges font encore interdiction à la commune de reproduire et représenter, faire reproduire ou faire représenter, la charte graphique originale des co-auteurs sous astreinte de 5000 € par infraction constatée passé le délai d’un mois après signification de la décision à intervenir.

Enfin, le tribunal accorde aux designers la somme de 7 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile visant à indemniser la partie qui a gagné son procès des frais qu’elle a dû exposer.

La commune a accepté ce jugement tout à fait satisfaisant et d’ailleurs assorti de l’exécution provisoire — elle aurait dû l’exécuter même en cas d’appel — et s’est acquittée de ce qu’elle devait.


François Lesaffre, Avocat, Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle