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On se « réveil ! »

Actions en justice soutenues par l’AFD | 0 commentaire
#Titularité des droits #Atteinte au droit moral du designer #Action en contrefaçon prescrite… Une designer s’est vu confier par une grande entreprise française la réalisation du nouveau design d’un de leur réveil, best-seller, dont les ventes étaient en perte de vitesse en raison d’une problématique de banalisation esthétique.

La designer a adressé son devis pour un montant total de 7.400 euros comprenant plusieurs phases de réalisation ainsi que la mention « cession des droits sur le projet. Le produit a ensuite fait l’objet de plusieurs allers-retours entre la designer et le fabricant avant d’être mis sur le marché.

Constatant que le réveil était toujours commercialisé par la société plusieurs années après, sans qu’aucune cession de droits d’auteur conforme aux dispositions de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle (CPI) n’ait été conclue, la designer décida de saisir le tribunal de grande instance d’une demande d’indemnisation, après avoir tenté une résolution amiable avec la société.

1. Sur la titularité des droits

En défense, la société faisait valoir la qualification d’œuvre collective du design du réveil afin de dénier toute qualité d’auteur à la designer.

Le tribunal, après une analyse détaillée des pièces, constate que les contributions évoquées par la société portent sur des détails de conception du réveil arrêtés avant sa mise en production et que son apparence esthétique a été entièrement conçue par la designer, qui est donc bien titulaire des droits patrimoniaux qu’elle invoque.

Ces éléments étaient confirmés, comme le faisait valoir la designer, par la mention figurant sur la première version de l’emballage du produit : « Design exclusif de X ».

L’utilisation du pronom « nous » par la designer dans ses correspondances avec la société avait par ailleurs conduit cette dernière a développé de nombreux arguments sur l’appartenance de la designer à une agence de design et à la qualification d’œuvre collective. Fort heureusement, cette argumentation n’a pas convaincu le tribunal mais manifeste l’importance pour un designer freelance de ne pas tenter d’apparaître « pour des raisons commerciales » comme travaillant à plusieurs !

2. Sur la cession des droits patrimoniaux invoquée par la société

La designer faisait valoir qu’aucune convention précisant l’étendue, la destination, le lieu et la durée de la cession des droits d’auteur n’avait été conclue entre les parties ; et que les conditions d’une telle cession ne pouvaient en tout état de cause se déduire des mentions figurant sur le devis « cession des droits sur le projet ».

En outre, il était notamment soutenu que la designer avait justement eu l’intention de limiter temporellement et territorialement la portée de son accord, ce qui pouvait se déduire des précédents exemples de commercialisation d’objets de design qu’elle avait créés pour la même enseigne.

Cependant le tribunal a fait droit à la demande en prescription de l’action invoquée par la société, considérant que compte tenu de l’expérience de la designer de ce type de relations professionnelles, celle-ci ne pouvait soutenir que chaque partie devait implicitement considérer la cession des droits sur son travail de conception comme limité dans le temps et n’avoir dès lors pu réaliser la portée de son engagement qu’au moment de la réponse apportée à ses revendications.

L’action ayant été introduite plus de 5 ans après la signature du devis, le tribunal a alors déclaré l’action prescrite et par conséquent irrecevable.

Ce jugement rappelle ainsi l’importance pour un designer de signer avec son commanditaire une convention de cession précisant les conditions relatives à l’étendue, la destination, les territoires et la durée de cession de ses droits d’auteur ainsi que la rémunération afférente à la cession de ses droits.

3. Sur l’atteinte au droit moral

La designer soutenait que la société avait porté atteinte à son droit moral en retirant la mention la désignant en qualité d’auteur du design sur le packaging des produits à la suite de ses revendications.

Le tribunal a justement considéré que la suppression de cette mention avait causé à la designer un préjudice en ce que la société avait brutalement et sans raison légitime été privée de cette reconnaissance.

Une somme de 10.000 euros a à ce titre été allouée à la designer en réparation de son préjudice.

Contrairement à certaines pratiques dans le domaine du design industriel, le designer peut donc tout à fait revendiquer son droit moral, afin que son nom et sa qualité soient mentionnés sur le packaging du produit ou le produit lui-même.

4. Sur les demandes fondées au titre de l’article L.131-5 du CPI pour prévision insuffisante des produits de l’œuvre :

À titre subsidiaire, la designer faisant valoir qu’il existait une disproportion entre la rémunération forfaitaire obtenue par elle et le chiffre d’affaires généré par l’exploitation de son œuvre par la société.

Cette demande reposait sur l’article L.131-5 du CPI lequel prévoit que « en cas de cession du droit d'exploitation, lorsque l'auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat.

Cette demande ne pourra être formée que dans le cas où l'œuvre aura été cédée moyennant une rémunération forfaitaire.

La lésion sera appréciée en considération de l'ensemble de l'exploitation par le cessionnaire des œuvres de l'auteur qui se prétend lésé. »

Le tribunal a néanmoins considéré, que les pièces versées par la société témoignaient d’un succès assez constant du produit, de sorte que si le nouveau design a pu — ce qui était l’objectif poursuivi — relancer significativement les ventes, il n’était pas révélé dans quelles proportions s’était opérée cette évolution et il ne s’en déduisait donc pas pour autant que la designer aurait été lésée à hauteur des 7/12e de la rémunération à laquelle elle pouvait prétendre en raison de l’impact de sa prestation sur le succès commercial du réveil.

Enfin, le tribunal a par ailleurs accordée à la designer la somme de 5.000 euros au titre de l’indemnisation des frais du procès sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


Coralline Manier Galas
Avocat en droit de la propriété intellectuelle
Woog & Associés